jeudi 24 mai 2012

The Boys, T14

Pour la première critique d'une parution librairie en vf, l'exercice est hasardeux. Difficile en effet de chroniquer une série en cours, et bien en cours, puisque nous sommes déjà au tome 14 du fantastique The Boys, du non moins génial Garth Ennis (Hellblazer, Preacher, Punisher, Punisher Max,War Stories, et plein d'autres trucs). Malgré tout sa lecture me fait prendre la plume, car on peut souligner plusieurs choses intéressantes. 

Ne vous attendez pas à ce que je vous raconte en détail ce qui s'est passé dans les 13 précédents volumes. Un point quand même sur l'intrigue : The Boys raconte l'histoire d'un groupe d'agents dépendants de la CIA chargé de la surveillance des superhéros. Car les super-slips dans cette série ne sont pas les parangons de vertu auxquels le lectorat est habitué : drogués, psychopathes, tueurs irresponsables, alcooliques en passant par partouzeurs ou violeurs à leurs heures perdues. Le groupe des P'tits Gars dirigés par l'impitoyable Butcher se charge donc de les mettre au pas avec toute la finesse d'une sulfateuse dans les mains de Schwarzy. Longtemps, la série a servi de défouloir aux goûts sadiques de Garth Ennis. Immense écrivain de comics qui a la particularité de détester tout ce qui porte une cape ou un costume (il suffit de lire son Marvel Knights : Punisher pour s'en convaincre), The Boys aura été l'occasion pour Ennis de régler indirectement ses comptes avec toutes les grandes figures mythiques des productions Marvel et DC : la Justice League (en particulier Superman), les Vengeurs et les X-Men. Une succession de démastiquages explosifs, un humour ravageur qui tape bien sous la ceinture, des clins d'oeil affirmés et qui font systématiquement mouche ont été les points forts d'une série que l'on peut qualifier de "culte", quand bien même on serait allergique, comme l'auteur de ces lignes, à ce terme si souvent galvaudé. 

Oui mais voilà, Garth Ennis est un sacré roublard et surtout un écrivain à l'arc multi-cordes. Cela fait plusieurs volumes (disons depuis Herogasme), que la série évolue, doucement mais sûrement. Sous ses airs d'auteur sarcastique et immature, on oublie que Ennis est particulièrement à l'aise avec certaines thématiques. Dès lors qu'il s'agit de s'attacher aux sentiments ou aux valeurs humaines, notre britannique range momentanément les shotguns et peut livrer des dialogues particulièrement émouvants. Les lecteurs du Punisher et surtout de Preacher retrouvent ce côté de l'écrivain dans l'évolution de la relation Hughie/Stella, liaison aussi impossible que sincère. C'est par ce biais-là en tout cas que Ennis a décidé de faire lentement basculer la tonalité de sa série, soufflant un peu sur l'action et le dégommage en tout genre. Le tome 13 était révélateur de ce changement, ses planches étant consacrées au développement psychologique de Hughie, entre nostalgie, remords, colère, et remise en cause personnelle. 

Ce tome 14 est le moyen pour Ennis de renouer avec un autre genre qu'il affectionne : la guerre. Le titre est évocateur "Préparation propre et planification". Pas de jeux de mots, pas de sous-entendus graveleux. Non. Du martial pur et dur, au premier degré. Le moyen pour l'écrivain de lever enfin le voile sur ce qui a pu foiré il y a quelques années quand Butcher a du se replier provisoirement face aux super-héros. L'alternance passé/présent autour des mêmes enjeux (préparer la mise à mort des slibards) baigne l'ensemble du comics pour déboucher sur un final qui met vraiment l'eau à la bouche (enfin je ne parle pas de l'illustration finale, rarement vu un truc aussi dégueulasse). Attention pour les prochains volumes, ça annonce une bien belle bataille. L'évolution de la série se ressent aussi dans le traitement moins uniforme des deux équipes. Avant l'heure fatidique, Ennis nous montre que les équipes ne sont pas si soudées que ça, que les lignes de fracture sont latentes. Là encore on gagne en subtilité et en maturité. Par contre, la série n'a tout de même pas changé de nom, et nous sommes bien présence de l'humour typiquement ennisien. Une belle scène gonzo avec une handicapée, un dialogue hilarant pour ce qui suit, mais à la différence de ce à quoi on était habitué, même le côté déjanté est désormais raccord avec le récit et à la "planification" des enjeux. 

Certains peuvent regretter que l'on perde peu à peu la folie des débuts de la série. Je crois qu'au contraire il faut se féliciter de voir ici Ennis à son plein potentiel, jonglant avec habilité avec l'ensemble des outils scénaristiques qu'il est capable de mobiliser, alternant le fun et le sérieux, le jouissif et le sensible. Oui, il faut se féliciter de cette transformation, qui fait passer The Boys du statut "plaisir coupable" à celui de série solide et qui comptera dans la bibliographie, pourtant déjà bien fournie en chefs d'oeuvre, de Garth Ennis. Hail to the king !

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