jeudi 23 août 2012

Pour seul cortège, de Laurent Gaudé



Ça y est c’est officiel, la rentrée littéraire a débuté et les premiers romans (près de 700 cette année) commencent à peupler nos étals. Cela fait plusieurs billets que je l’annonce, tant pis si je me répète encore, Actes Sud présente sa dream team francophone, et autant vous avouer que j’avais depuis la présentation de juillet nourri de sérieuses attentes autour de certains ouvrages en particulier. Je me suis donc rué sur le roman de Laurent Gaudé, Pour seul cortège, que je me propose de vous présenter aujourd’hui. 

Alexandre, Ericléops, Drypteis. Ces trois voix s’entremêlent dès le début du roman. Alexandre le Grand, sur le chemin de la retraite, s’effondre et doit lutter contre un adversaire plus fort que lui, la maladie. Drypteis, fille de Darius, Empereur des Perses, exilée depuis la mort de son époux, est rappelée auprès du Macédonien, accompagnant une prêtresse qui doit se prononcer sur l’état du mourant. Ericléops, messager d’Alexandre, traverse l’Indus pour porter son augure guerrier dans un royaume lointain. Décapité, sa tête revient vers son maître dans l'espoir de ranimer sa flamme car un nouvel ennemi ose enfin défier le conquérant. Mais Alexandre apprend enfin à mourir. Le cortège funéraire quitte Babylone, tandis que la guerre de succession se prépare. Ptolémée, prétendant au trône, lance ses troupes à la poursuite du corps. Mais dans le vent, dans la terre, des voix se lèvent, les morts rassemblent leurs dernières énergies pour guider l’âme du défunt vers son véritable royaume. 

Difficile d’en dire plus sur la trame de ce court roman, 186 pages à peine, sans gâcher le plaisir du futur lecteur. Dès les premières lignes de Pour seul cortège, nous sommes en tout cas transportés dans l’univers de Laurent Gaudé. L’écrivain saisit toute la gravité du crépuscule d’un règne, les derniers soubresauts d’un conquérant légendaire qui font frémir tout un Empire. Comparable à la chute d’un Dieu qui emporte tous ses fidèles, la mort d’Alexandre se répand comme un murmure dans toutes les provinces, embrase les cœurs des ambitieux et désespère les démunis. Gaudé restitue admirablement ces changements, où les frères de la veille deviennent les ennemis de demain, où la solidarité martiale cède la place à la haine de la division. Il suggère aussi toute la prégnance de l’Empire face auquel les destinées individuelles pèsent peu, placées dans l’arbitraire de sa main aveugle, où la frontière entre la consécration et l’anéantissement est ténue. 

Il faut rendre grâce à Laurent Gaudé pour avoir rompu avec toute prétention historique. Certes, le roman est parsemé de références à la trajectoire d'Alexandre, mais peu lui importe au final. On retrouve ici les affinités de l’écrivain avec la mythologie, car ce qui l’intéresse c’est bien toute la puissance évocatrice d’un telle figure à la frontière du mythe, une fulgurance quasi-divine qui a traversé l’histoire des hommes. Une réflexion revient souvent dans le roman « A qui appartiens-tu Alexandre ? », et c’est bien à cette interrogation (es-tu un Macédonien, es-tu un Perse, es-tu un homme ?) que tente de répondre l’écrivain. En choisissant ces termes de l’évocation, Gaudé renoue avec ses outils favoris en recourant au fantastique et au surnaturel. Les voix dialoguent à travers l’espace, à travers la mort, les esprits hantent encore la Terre qui tremble toujours de la mort du Macédonien. Cela lui permet d’offrir un final (et quel final !) digne des plus belles épopées mythologiques. 

Certains lecteurs se plaignent parfois dans la librairie du « système Gaudé » qui s’essouffle. Il est vrai que l’écrivain réutilise certaines figures de ses précédentes œuvres, notamment celle du messager plus mort que vif dans le recueil de nouvelles Les Oliviers du Négus, et que l’on retrouve cette volonté de retravailler certains personnages historiques pour en retirer la quintessence mythique. Je suis plutôt tenté de dire que Pour seul cortège fait au contraire sens dans l’œuvre globale de Laurent Gaudé, et rassemble plusieurs éléments qui étaient jusque-là disséminés dans ses précédents textes. Soyons plus explicites : Pour seul cortège est un roman magnifique, un souffle épique comme on en a peu aujourd’hui, et un sacré plaisir de lecture à côté duquel il ne faudrait pas passer.

lundi 20 août 2012

Les Lisières, Olivier Adam

Dans notre tour d'horizon de la rentrée littéraire, intéressons-nous aujourd'hui à un autre poids lourd de la littérature française, Olivier Adam (Des Vents contraires, Le Coeur régulier). Lors du dernier mercato littéraire, ce dernier a quitté son équipe de toujours, l'Olivier, pour rejoindre la plus prestigieuse maison Flammarion.  Alors que la campagne des Prix approche, l'essai est-il transformé avec Les Lisières ?

Les Lisières est un récit à la première personne mettant en scène un écrivain, Paul, qui se débat dans sa vie. La quarantaine, deux enfants, divorcé mais toujours amoureux de son ex, hormis les bouffées d'air qui lui apporte les bambins, Paul est noyé dans un vide émotionnel. Pour s'en sortir, ce ne sera pas du côté du travail, car l'inspiration l'a quitté depuis quelques temps, au grand dam de son éditeur. En revanche, Paul se décide à fouiller son passé et remonter aux sources de sa maladie, son malaise permanent. Ceci l'amène à revoir ses amis de banlieue, à faire l'amer constat de leur difficile situation, mais aussi à repenser ses amours lycéens déçus et pourquoi pas, rattraper le temps et les occasions perdus. Une quête en arrière qui le conduit au domicile familial, affronter la froideur d'un père ouvrier et râleur, tandis que sa mère hospitalisée et défaillante mentalement, lâche un secret enterré depuis longtemps. 

Voilà à peu près la trame de cet imposant roman (plus de 450 pages) dans lequel Olivier Adam brasse de nombreux sujets. Bien évidemment il faut adhérer au côté irrémédiablement psychologisant du texte, qui est consacré en grande partie à l'analyse et l'autoanalyse du narrateur tourmenté. Généralement je suis plutôt réticent à ce type de came littéraire, mais l'enchaînement des mots, des sensations et autres réflexions, coule de source, et l'on doit ici rendre grâce à l'écrivain maître de lui et de sa plume. Alors certes, le lecteur retrouvera des thèmes peu originaux : la nostalgie du premier amour, la joie de l'amour parental, les relations distantes avec le père, le bilan de sa jeunesse, la redécouverte de la famille, la jalousie de l'ex. Mais Olivier Adam s'en sort chaque fois avec les honneurs, et tout ceci est traité avec qualité. 

Mais là où le roman gagne en force et en intérêt, c'est quand il se sociologise. Les Lisières est un titre admirable et qui est parfaitement adapté à ce qui est abordé en profondeur dans le texte. Si le narrateur est un homme au bord de son gouffre intérieur, c'est peut-être aussi qu'il se place à la marge de tous les milieux dans lesquels il évolue ou a évolué. Olivier Adam analyse ici la trajectoire d'ascension sociale et culturelle de son narrateur, qui rejette en partie son héritage populaire tout en crachant à la gueule du milieu littéraire type Saint-Germain des Prés. Nulle part chez lui, observateur de la frontière, c'est ce positionnement inconfortable qui est à la racine du mal dont souffre Paul. Olivier Adam revient à la charge du réalisme en accordant une grande attention aux récits de vie des anciens amis que rencontre Paul. C'est l'avantage d'un narrateur qui a le pouvoir de faire délier les langues et la faculté de plus s'intéresser à la vie des autres qu'à la sienne. Ces portraits mettent en scène cette working-class de banlieue qui trime jusqu'à l'aliénation et souffre dans l'indifférence. Le choix d'Olivier Adam pour une langue orale crue, parfois vulgaire est également payant, et rajoute indéniablement en crédibilité. Pour revenir au personnage principal, l'accumulation des références culturelles et autres, font également de Les Lisières, une radioscopie particulièrement précise de notre époque, de nos goûts, que notre narrateur de la lisière regarde souvent de manière ironique renvoyant tous les camps culturels, sociaux et politiques dos-à-dos.

Mine de rien, Les Lisières remplit allègrement son cahier des charges : bien écrit, intéressant et accrocheur jusqu'à sa conclusion, très belle par ailleurs. Très certainement, le livre va faire parler de lui, et saura attirer le lecteur. Encore un candidat crédible, quoiqu'un bon cran en-dessous d'Amin Maalouf,  pour les prochaines médailles automnales.

vendredi 17 août 2012

Les Désorientés, par Amin Maalouf


Editeur prestigieux + nom redondant anobli récemment par l’académie, voilà deux (mauvaises) raisons pour ne pas lire a priori un roman. Mais bon, les aléas du mois d’août, l’envie d’essayer autre chose, la volonté d’être au point au moment de la rentrée littéraire, m’ont fait prendre Les Désorientés du dernier immortel en date de la langue française, le libanais Amin Maalouf.  Poids lourd de la littérature française, peut-être le meilleur espoir pour Grasset de viser le Goncourt, à notre tour de disséquer cet imposant texte de plus de 500 pages qui arrivera dans les rayons en septembre. 

 Les Désorientés  raconte le retour du narrateur, Adam, dans son pays natal après un quart de siècle d’exil volontaire, alors qu’un de ses anciens amis est en train de mourir. Historien de métier, il est censé travailler sur une biographie d’Attila, mais son projet prend une autre tournure. Dans l’auberge tenue par une vieille amie, les souvenirs affluent, le passé s’invite dans la chambre d’Adam. Ce dernier ouvre des vieux documents, lit une lettre, puis deux, se remémore ses réponses. Le besoin naît de coucher sur papier les portraits de tous ses amis qui composaient le « cercle des Byzantins » au début des années 70. Alors que l’un d’entre eux rend l’âme, Adam décide d’organiser des retrouvailles officielles, réunir les vivants pour donner un dernier hommage aux morts qui ont secoué le groupe. La tâche est ardue, certains sont partis loin du pays, aux Etats-Unis, au Brésil, ou en Jordanie, et les autres se sont éloignés dans le pays même, se réfugiant dans la religion, que celle-ci prenne la forme de l’Islam radical ou d’un monastère orthodoxe. Les Désorientés relatent ces quinze jours de quête, d’enquête et de requête pour réconcilier passé et présent, entre la chambre de l’auberge et les routes du Proche Orient afin de retisser les liens distendus. 

Amin Maalouf consacre une grande partie de son roman à cette étude du passé. Plus qu’une étude nostalgique qui magnifierait l’âge d’or d’une jeunesse perdue, l’écrivain se livre au dévoilement intégral. Seul ou entouré de ses amis, Adam décide de relater toutes les blessures accumulées, les cicatrices encore ouvertes, les erreurs et les désirs inassouvis, l’éloignement. Si Maalouf explore les « grands sentiments » (l’Amitié, l’Amour, la Mort), l’exercice est toujours subtile, effectué avec précaution, rassemblant tous les points de vue, concédant sur l’intransigeance subjective du narrateur, pour restituer toute la complexité et la profondeur de ces mots que l’on jette si souvent en pâture dans la littérature. Les réflexions sonnent toujours justes, et le concert émotionnel qui se joue dans les pages touche souvent au sublime. Maalouf retient souvent sa plume, et si les mots sont précis et calculés, l’écrivain privilégie des phrases simples, qui coulent, et qui se contentent d’illustrer avec sobriété ce qui bouillonne dans ses personnages. 

Un point sur la contextualisation du roman. De manière évidente, Maalouf joue dans les Désorientés la carte de l’universalisme. En sus du prénom de son narrateur, Adam, l’écrivain opère un certain tour de force en ne mentionnant jamais le pays (son pays) théâtre de son drame humain, en l’occurrence le Liban. Vingt-cinq ans d’exil, cela correspond bien évidemment à la guerre civile qui a ravagé le pays. Le roman, s’il n’est pas essentiellement politique, aborde tout de même à plusieurs reprises cette thématique. C’est la guerre a provoqué les départs, les premiers morts, et les différentes trajectoires opérées par les anciens amis. L’occasion pour Maalouf de faire part de la corruption du Liban, des mains salies par la guerre et qui le sont restées après la paix. Les idées politiques sont également bien présentes. Certes l’écrivain a à sa disposition une galerie archétypale (un juif, un chrétien, un islamiste entre autres) lui permettant de faire le point sur l’état idéologique des pays arabes, mais derrière ces oppositions, c’est une autre douleur qui se révèle, celle de ces jeunes libanais qui souhaitaient dépasser le cadre communautaire de leur pays, purger le Liban de ces divisions stériles et qui n’auront été payés en retour que par le départ ou la mort. 

Les Désorientés est un roman extrêmement riche, particulièrement bien écrit et d’une intelligence rare. Fruit de l’expérience personnelle de Maalouf, ce dernier réussit son pari ambitieux, toucher l’universel en délivrant un testament littéraire destiné à l’humanité entière. Autant dire qu’il faudra suivre de près le destin de ce roman, qui comptera parmi les plus belles réussites de la rentrée littéraire.  

jeudi 9 août 2012

Avengers vs X-Men #5-8

J'ai délaissé dernièrement le compte-rendu de comics, et je dois me rendre à l'évidence qu'il est plus facile, moins coûteux en temps assurément, de laisser passer quelques numéros avant de tapoter le clavier pour écrire une critique qui tienne un tant soit peu la route. Plus de recul aussi pour juger de l'évolution d'une série, ou en l'occurrence d'un event, ou pour mieux se laisser guider par le ou les scénaristes qui y officient. Bref, tout ceci pour dire qu'il est enfin temps de voir comment évolue le mega event de Marvel, Avengers vs X-Men. Nous avions laissé tout ce beau monde sur la lune, alors que le Phoenix himself approche. Attention, ça va spoiler sévère, au moins dans le paragraphe qui va suivre. 

 Comme tout un chacun, je m'attendais sans aucune surprise advenir ce qui devait advenir, à savoir l'absorption du Phoenix par Hope, avec tout le lot de catastrophes en option. Que Nenni ! Premier vrai gros deus ex, la petite se débine, et demande à Wolverine de faire le sale boulot en la tuant. Résultat, nous n'aurons pas un Phoenix, mais cinq plumitifs cosmiques. Plus précisément, les scénaristes introduisent une idée intéressante, à savoir que la force cosmique se répartit entre cinq hôtes, divisant par là-même ses forces. Sans trop en dire sur cette nouvelle équipe, disons tout de même que Cyclope se retrouve en tant que leader mutant revanchard et obtus, mais avec le pouvoir cosmique en sus. Et là, le crossover change de direction. Dès le #6, une ellipse est passée par là, d'où il faut déduire que les nouveaux supers mutants commencent à faire ce qu'ils veulent sur la planète qu'ils envisagent de réformer en profondeur, dans le bon sens du terme. Mais les sceptiques demeurent, et non des moindres. C'est d'abord Xavier qui se manifeste (la surprise a été grande pour moi, ne suivant pas trop les séries mutants) visiblement déçu du leadership exercé par son ancien protégé. Puis ce sont les Vengeurs qui n'ont pas digéré les changements imposés par la bande à Cyclope. Sous l'égide d'un Cap' fidèle à lui-même la contre-attaque commence, et la latte peut recommencer. Le rapport de forces n'étant vraiment plus le même, voilà le moyen de réintroduire la Nemesis des X-Men. On l'attendait depuis longtemps, 2005 pour être exact. Et quand Wanda débarque, ce n'est plus la même histoire. Toujours aussi bourrine, elle permet aux Vengeurs de sauver la face et de mettre à terre un des Phoenix, une défaite qui paradoxalement renforce les quatre autres. Autant dire que nos héros ne sont pas sortis de l'auberge. 

Clairement avec ces quatre numéros on passe dans une autre dimension. Jusque-là on avait de la bonne grosse fight classique, démesurée, bordélique et rapide dans la grande tradition des crossover. Avec l'Ellipse, et les premiers numéros de ce nouveau statu quo, on souffle un peu et on pose les véritables enjeux du crossover. Une nouvelle thématique émerge, à savoir que faire, comment agir lorsque de quasi-divinités oeuvrent pour la pacification de l'humanité et assurer l'équilibre planétaire. On navigue en territoire connu, puisque le questionnement philosophique autour du caractère divin des super héros a été sublimé par Alan Moore dans Watchmen. Depuis, The Authority a aussi exploré le problème, mais il est intéressant de voir que le sujet, passionnant au demeurant, soit abordé ou plutôt suggéré dans un crossover mainstream. Évidemment, ça reste du Marvel, donc les doutes légitimes autour de la démarche ne durent pas plus de trois cases, du fait que les Vengeurs prennent rapidement position, ce qui est compréhensible lorsque l'on sait ce dont est capable le Phoenix. Mais bon, il faut se réjouir quand Marvel lorgne vers les bonnes références, que ce soit Watchmen ou Highlander (si si), et renouvelle un peu son récit. Un mot sur la Sorcière Rouge, à l'origine de la plus grande des perturbations de l'univers Marvel au cours des dernières années. L'attente pouvait être déçue. Et bien ce n'est pas le cas. J'ai eu les frissons lorsqu'elle est apparue au cours d'une case, et franchement on est plus qu'heureux de la voir au top de sa forme. Si certains avaient oublié le poids lourd qu'elle était dans l'équipe, les mémoires sont très vite rafraîchies. Wow ! 

Un petit mot sur les dessins, et sortez les trompettes, c'est Coipel qui prend la relève au #6. C'était pas trop tôt !! Pour être honnête, je dois dire que le boulot de Romita Jr sur le #5 était plus que correct, et correspondait (enfin...) aux standards attendus. Mais bon, avec Coipel, on entre là encore dans une nouvelle dimension, et c'est rendre honneur au dessinateur français que de lui redonner Wanda sous son pinceau numérique. Donc c'est beau, détaillé, épique, et ça colle magnifiquement à l'event. 
Vous l'aurez compris, Avengers vs X-Men s'annonce comme une grande réussite, une très grande réussite. Les pistes sont disséminées ici et là sur la conclusion de l'event, et franchement ça inaugure de l'épique, de l'émotion, du retournement de situation, bref du Bigger than life comme on en raffole. 

Coups de coeur, à venir

L'été avance, la rentrée littéraire aussi. Les services de presse sont peu à peu avalés et Préambule vous propose de découvrir les futures réussites de septembre. Un grand merci à une de nos fidèles clientes, Monique Menguy, qui nous a fait parvenir le résultat de sa lecture attentive et précise et que nous reproduisons ici avec un grand plaisir.

Ron Rash, Le monde à l'endroit

Editions le Seuil

Grâce à sa construction : le personnage central va subir les mêmes horreurs que les habitants de la ville lors de la guerre de sécession (devenir adulte est ici aussi grave et difficile pour le jeune homme que devenir libres pour les habitants en révolte), et grâce à une écriture raffinée et poétique qui aide le lecteur à supporter la barbarie des hommes. 
Cet auteur est un poète, il écrit des choses horribles avec une superbe élégance... Depuis Séréna, je trouvais qu'il s'agissait d'un grand écrivain, mais avec cet ouvrage, Le monde à l'endroit, mon impression se confirme, c'est un grand de la littérature. 

Monique Menguy

Les personnages sont tous magnifiques, superbes. On ne peut en jeter aucun. Et quel style ! On passe de Whitman à Steinbeck en une rythmée en coups de poing. Et on voudrait ralentir la lecture pour ne pas finir l'hisoire. Impossible. Une seule solution : faire partager ce roman

Préambule



Manuel Candré, Autour de moi

Editions Joëlle Losfled

Beau récit, bien écrit qui va, grâce à son style, de la maîtrise des émotions à l'éclatement d'une colère intense et mortifère. Il s'agit de se souvenir d'une enfance malheureuse et cela sans ordre chronologique. L'émotion affleure et monte à mesure que se précisent les évocations douloureuses. C'est un très bau livre à ne pas manquer. 






Monique Menguy



Thierry Dancourt, Les ombres de Marge Finaly

Editions La Table Ronde

 Une ambiance entre Truffaut et Sagan, une écriture à la Modiano. Le narrateur retrouve un amour ancien et recherche ceux qui ont fait partie de leur vie passée. Des jeunes gens snobs et mystérieux dans un monde factice. Et pourtant manipulateur. Un roman aux apparences lisses, l'auteur ne donne aucune clé psychologique évidente, mais qui avance vers la fêlure, le présent se chargeant de régler les comptes. L'histoire n'est pas confortable mais son écriture laisse au lecteur la marque de Thierry Dancourt. 




Préambule

Mythe et Super Héros, Alex Nikolavitch

Tout lecteur de comics a pu nourrir à un moment ou un autre de son parcours le questionnement sur les bases symboliques des super héros. Suivre ce chemin, c'est forcément faire le lien avec la mythologie grecque, puis plus largement à s'interroger sur les relations entre religion et comics. Cela trottait dans la tête de votre serviteur depuis quelques temps, et autant dire que ce Mythe et Super Héros d'Alex Nikolavitch tombe à point nommé. 

Dans ma réflexion, je suis arrivé à la conclusion d'une sorte de triptyque que je pourrais résumer ainsi : modernisation des grands récits mythologiques, emprunts directs aux panthéons et érection d'un système quasi divin propre aux différents univers des comics. Si Alex Nikolavitch n'aborde pas le problème sous ces termes, on retrouve ces trois dimensions traitées en profondeur dans l'ouvrage, notamment dans sa première partie intitulée "Mythe et structure" où l'auteur, citant tour à tour Campbell et Dumézil, recherche les invariants mythologiques dans les productions de comics. Se concentrant sur le Golden Age, l'âge de tous les possibles et de toutes les créations, Nikolavich propose une analyse richement argumentée et passe en revue toutes les références qui ont influencé les premiers scénaristes. Se concentrant sur le travail d'identification et d'iconisation des super héros, rien n'est mis de côté : les pouvoirs, les attributs visuels, les drames fondateurs, les quêtes initiatiques, le dyptique mentor/disciple. L'auteur propose aussi une typologie du "méchant", de la menace (Le Double Inversé, le voyou, le Fou, le Fripon, le Dévoyé, le Planificateur, le Nazi et la Menace Cosmique). Alors que nous sortons de Fear Itself chez Marvel, je ne résiste pas à vous citer justement la présentation du Nazi 
Le Nazi tient une place à part dans la galerie des méchants. C'est un méchant absolu, irrécupérable et déclinable à l'infini (au fil des décennies, les comic books ont vu passer des savants fous nazis, des surhommes nazis, des dominatrices nazies, des anciens nazis, des nazis de l'espace et même des singes nazis - dont un Hitler réincarné -, voire des nonnes nazies transexuelles). Le Nazi reste, même hors des comic books, le grand méchant du XXe siècle, corvéable à merci par le scénariste en manque d'imagination. S'il est logique d'oppose Nick Fury ou Captain America à des Nazis ou Captain America à des Nazis, et si les Nazis font partie intégrante du décorum de Hellboy, ils deviennent trop aisément des rustines, alors que la Seconde Guerre mondiale est terminée depuis longtemps. 
La deuxième partie est consacrée aux deux "Ourdisseurs de mythe" : Jack Kirby et  Steve Ditko. L'occasion d'en savoir plus sur la personnalité des deux scénaristes, sur les conditions d'écriture des comics à l'époque et les premières dissensions chez Marvel. Le moyen surtout pour l'auteur de s'attarder sur les créations (et il y en a) des deux scénaristes, tout en retraçant les trajectoires des personnages jusqu'au début du XXIe. L'exercice est intéressant dans le sens où Nikolavich aborde de manière critique les différents challenges imposés par l'emprunt mythologique direct (surtout Thor et le Ragnarok) et par là-même mettre les pieds dans les plats d'une des plus grandes contradictions d'écriture dans les comics. Une partie extrêmement intéressante puisque deux grandes oppositions de style sont décrites, chacune aboutissant à une vision mythique et religieuse différente, et dont le legs sera durable sur un grand nombre de jeunes scénaristes.

L'examen critique continue dans la troisième et dernière partie lorsqu'il s'agit d'aborder la douloureuse question du vieillissement des héros, puis des sempiternelles résurrections, deux points sensibles qui mettent souvent à mal la suspension d'incrédulité du lecteur de longue date. Si cette dernière partie finalement délaisse son sujet premier pour se concentrer sur les créations innovantes à partir des années 80. L'occasion de revenir sur des séries "mythiques" : Watchmen, Sandman, Starman, Stormwatch/The Authority, Swamp Thing, et donc de s'attarder sur l'invasion des talents britanniques dans l'univers des comics. On retrouve notre trame principale quand Nikolavich écrit que cette génération innove dans le sens où elle est la première à considérer les créations de comics comme des mythes à part entière qui font partie de l'imaginaire collectif, et qu'il faut donc les questionner sous les angles les plus divers, philosophique, religieux ou politique. 

A mon humble avis, tout fan de comics se doit de lire Mythe et Super Héros. D'une part parce que le sujet traité est probablement LE sujet lorsque l'on doit penser les comics dans la culture moderne, et d'autre part parce que la question est admirablement traitée.  On sent que l'écrivain est passionné par les comics et qu'il lui tient à coeur de restituer toute la richesse de cette culture. Autant dire que l'on apprend énormément de choses, en dehors de l'aspect mythologique, sur les comics et sur les hommes qui l'ont promu. A ce titre, Mythe et Super Héros est tout autant une étude sérieuse qu'une lettre d'amour rendant hommage à un univers de divertissement porteur des questions les plus fondamentales de l'humanité. 

samedi 4 août 2012

Rue des Voleurs, Mathias Enard

Actes Sud a décidé de sortir l'artillerie lourde pour sa rentrée littéraire francophone 2012. Sont en effet annoncés pour août et septembre, Claro, Laurent Gaudé, Metin Arditi, Jérôme Ferrari et Mathias Enard. Préambule avait pu assister à la présentation officielle de ce line-up de rêve dans les locaux de la maison d'édition en juillet dernier, présentation dont il était difficile de penser grand chose étant donné la contrainte de l'exercice, à peine vingt minutes par auteur pour retracer sa démarche et vendre le contenu de sa dernière production littéraire. Avec les services de presse qui nous arrivent gentiment d'Arles, il est enfin possible de juger sur pièce, et c'est Mathias Enard qui est aujourd'hui à l'honneur. 

Par rapport à l'historique et contemplatif Parlez-leur de batailles, de rois et d'éléphants, ce Rue des voleurs s'impose comme une rupture. Loin de la Constantinople du XVIe siècle, Enard choisit l'actualité brûlante du Sud de la Méditerranée. Pour appréhender la complexité et la profondeur des "changements sociaux et politiques", l'écrivain prend le parti de confier la narration à un jeune Tangérois, et de suivre sa trajectoire chaotique au sortir de l'adolescence. Condamné par sa famille pour avoir brisé un tabou sexuel, recueilli par un groupuscule islamiste, passionné par les livres (surtout par les polars), sa quête d'amour suite à sa rencontre avec une étudiante espagnole arabisante le pousse sur la quête du Nord, entre espoirs et désillusions. Encore une fois, je préfère rester relativement évasif sur l'intrigue car les 250 pages de Rue des voleurs sont extrêmement riches en péripéties et autres retournement de situations. Autant maintenir le (futur) lecteur dans sa condition virginale de découvreur d'intrigue. 

Revenons un peu sur le narrateur de ce texte, qui est un des points de la rupture que j'évoquais. Si Enard prenait ses distances avec Michel-Ange en prenant résolument le pari de la description subtile et évocatrice par le biais d'une plume raffinée et travaillée, il plonge ici avec les deux pieds dans les états d'âme de son conteur avec le choix de la première personne du singulier. Si le résultat est bien moins exotique par rapport à son précédent roman, son habilité stylistique transparaît avec bonheur au fil des pages. Le fait d'avoir choisi un jeune homme, tour à tour lecteur, libraire et rédacteur est peut-être un artifice grossier pour prêter à un marginal marocain le capital culturel d'un universitaire spécialiste de la littérature et de la poésie arabe, mais cela fonctionne. Du moins, cela n'aurait pas pu fonctionner autrement, à moins d'abandonner tout un pan du roman. Enard parsème en effet tout au long des pages une multitude de références aux auteurs arabes, à leurs poèmes ou récits de voyage qui l'ont vraisemblablement marqué, et qui permet de dresser en toile de fond de Rue des voleurs la quête identitaire via la quête littéraire tout en liant amour charnel et amour du texte. L'écrivain ne se facilite pas les choses avec son personnage principal, qu'il place systématiquement à la marge des milieux qu'il traverse, que ce soit la famille, les religieux fondamentalistes, ses univers professionnels et même le milieu urbain dans lequel il se fond à la fin du roman. La posture de l'éternel outsider est évidemment particulièrement utile pour cerner chacun des milieux sociaux avec la plus grande des lucidités, mais cela pose inévitablement des problèmes sur le réalisme de la construction psychologique et sociale de ce narrateur exceptionnel. On sent que l'idée d'un individu aux mille masques sert la quête fondamentale de l'identité qui est sans aucun doute la thématique du roman, et que derrière la posture singulière de l'outsider permanent, se dessine l'universalité de la problématique abordée. Mais si on veut rester pointilleux, cela crée forcément un décalage avec un autre but de l'écrivain, celui d'embrasser avec sagacité les évènements et les dynamiques qui ont animé les pays arabes en 2011. 

Car sur ce point, Enard est explicite. C'est l'actualité qui a motivé la rédaction du livre. Voilà où se situe la deuxième rupture par rapport à son précédent ouvrage. Certes, il était intéressant d'écrire ou de décrire de l'intérieur des pays concernés ces "changements", mais cette ambition est un chemin pour le moins hasardeux. Le premier souci tient au fait que bien même le narrateur soit Marocain aux prises du quotidien marocain, c'est un occidental qui est à la baguette et c'est tout l'ensemble de l'oeuvre qui peut-être suspecté d'ethnocentrisme involontaire. La deuxième interrogation tient à la dimension du roman. Comment cerner en 250 pages, la complexité, l'étendue et peut-être les limites du fameux Printemps arabe ? Et là où les journalistes, essayistes et autres universitaires ont fait choux blanc en s'engouffrant avec peu de réflexivité critique, Enard ne s'en sort pas forcément mieux.  Il faut bien reconnaître que cet aspect du roman reste irrémédiablement secondaire (et ce n'est pas forcément une mauvaise chose) au hasard des expéditives opinions du narrateur. Il en ressort que les évènements de 2011 ne parviennent au lecteur qu'à l'état allusif, comme contexte nécessaire à une intrigue qui visait probablement autre chose. Soyons honnête avec l'écrivain, ce dernier ne s'est pas borné à la Tunisie ou au Maroc, mais s'applique aussi à porter son regard sur les évolutions à l'oeuvre dans les pays du Nord (Espagne, France), même si cet empilement de références ne va pas forcément plus loin que le clin d'oeil pour planter le décor des déboires des personnages en proie avec une vie de plus en plus difficile. 

Alors quelle conclusion pour Rue des voleurs ? Évidemment ce n'est pas mauvais, car le roman est bien écrit, et qu'il est certain que le lecteur y trouvera son plaisir. Mais soyons lucide sur ses prétentions politiques, sociales et philosophiques, que d'aucuns ne manqueront pas de célébrer, et dont le résultat est bien trop imparfait pour être satisfaisant. Sans doute trop vite écrit sans le recul nécessaire, Rue des voleurs fonctionne surtout comme une jolie et légère réflexion sur la rage de vivre et d'amour, la quête de soi dans un monde agité où certains repères volent en éclat.